Chronique : Adieu mon prof ! Que votre esprit demeure ! Par Mansour M’henni


En ces temps sombres qui nous font douter des valeurs éternelles d’une humanité digne de ce nom, certains souvenirs surviennent de temps en temps, au gré des circonstances, comme des plaques de signalisation venant se dresser devant nous pour inspirer, et orienter même, notre croisière infernale des temps présents. Force est de reconnaître que les plus beaux et les plus instructifs de ces souvenirs sont ceux liés à l’Ecole, tous cycles confondus, depuis la coranique ou la maternelle, jusqu’à l’université et à la post retraite.

Aujourd’hui, dimanche 7-2-2021, j’apprends par Samir Marzouki, qui a été lui-même mon prof à la faculté des lettres de Tunis et qui est devenu un grand ami avant que je ne devienne son collègue, la triste nouvelle du décès de feu Monsieur Alain Duneau, mon professeur de littérature française en première année français, l’année 1972-73. Cela fait donc près d’un demi-siècle et n’ayant pas eu de ses nouvelles de quiconque, j’avoue l’avoir cru déjà mort. Aujourd’hui je suis encore plus attristé par son décès et, à l’occasion, me revient un souvenir que je raconte souvent pour souligner ce que peut être un vrai enseignant, contrastant malheureusement parfois avec d’autres qui ont le même statut mais qui ne sont pas de la même éthique.

En ce temps-là, débarquant d’une formation scientifique interrompue pour des raisons qu’il serait long de conter, j’étais fier du témoignage de M. Duneau à mon égard, à la remise d’un exercice de rédaction auquel il nous avait soumis le premier jour : « C’est vous l’étudiant qui venez de la faculté des sciences ? – Oui, Monsieur ! – On ne dirait pas. – J’espère que vous ne serez pas déçu. »

Cette année-là, nous avions au programme Alcools d’Apollinaire (Quelle rencontre autour de l’amour de la poésie d’Apollinaire : Duneau, Marzouki, M’henni ! En serait-il la source ?). Un jour, évoquant la notion de « métempsychose », le professeur a écrit le mot au tableau avec la lettre « h » venue de son étymologie et source d’une polémique orthographique dont j’étais informé. J’ai donc vite réagi en contestant l’orthographe au tableau. Mon prof m’a renvoyé à l’étymologie et je lui ai répliqué que malgré cela, depuis le 19°siècle au moins, on s’était aligné sur la décision de l’Académie et qu’on écrivait « métempsycose ».

L’incident devait être clos, mais avec l’état d’esprit et la naïveté de mes vingt ans, la séance d’après, je venais avec mon dictionnaire et le montrais à mon professeur en classe. Il a encaissé sans rien ajouter et à la fin de la séance, il m’a demandé d’attendre un peu. Une fois seuls dans la salle, il m’a dit ceci que je n’ai jamais oublié : « Aujourd’hui M’henni, je vais juste vous donnez un conseil important, parce que j’ai un fils qui a votre âge : ne prenez jamais à partie un de vos enseignants à la faculté, il peut toujours vous attendre au tournant. Je ne le ferai pas, mais un autre le ferait. » Je lui ai exprimé alors mes remerciements avec mes excuses et j’ai gardé pour lui une affection et un respect indélébiles. Surtout que deux années plus tard, l’année même où Samir était devenu mon prof de La Chanson de Roland, j’ai eu à constater de visu, sur un camarade de classe, la confirmation de l’appréhension de M. Duneau.

Lors de la première séance d’un cours sur l’Heptaméron, l’enseignante (que je ne nommerai pas, par respect) nous dit que pour l’étude de ce livre, il nous faudrait avoir la Bible à notre chevet. Le camarade en question, connu pour une religiosité chauvine, lui répond : « Non Madame, je préfère avoir le Coran à mon chevet ». Puis une polémique se prolongea entre eux durant toute la séance. Par malheur, le camarade réussit son écrit en juin et en tirant au sort son oral, il tombe sur la même enseignante comme principal membre d’un jury binaire. Au premier mot, elle lui dit : « Allons Monsieur M., reprenons notre discussion du début de l’année ». A la fin, elle lui flanque un quatre sur vingt qui ajourne son examen à la seconde session.

J’ai beaucoup de respect pour l’enseignante en question et je l’aimais bien ; mais il en a été ainsi, peut-être pour me permettre à moi d’apprécier davantage l’attitude de mon Prof Duneau.

Aujourd’hui, en hommage à Duneau, combien je serais heureux de pouvoir organiser ou participer à une rencontre sur l’éthique enseignante, qui n’est peut-être pas toujours celle qu’on croit et encore moins celle en laquelle on croit. En attendant, que l’âme de M. Duneau repose en paix, je croix bien que, par son humilité, il me paraît aujourd’hui plus grand que la mort.

 

 

NDR : Sur la photo d’illustration, Alain DUNEAU (U. de Poitiers) est le deuxième de gauche à droite, au 2ème plan : (lors du Premier Colloque de la Société Internationale des Etudes Giralduciennes organisé par l’Université de Tours du 14 au 16 novembre 1990).

(Chronique publiée dans jawharafm.net et dans voixdavenir.com )

 

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