Dans un désir d’avoir une meilleure intelligence de la situation de mon pays, je me suis hasardé à en interroger un ami tenant mal entre deux âges et bien debout en pleine rue, aussi revendicatif que je me souviens avoir été dans le torrent de mes vingt ans entre les années 60 et 70 du siècle dernier. D’un seul trait, il m’a débité ce développement dont je traduis la substance, à tout bon entendeur :

 

« Il y a tout à croire qu’un vent de perfidie nous vient de quelque part pour semer en nous la zizanie et l’attiser au gré des démons qui nous habitent. A chaque changement, nous nous laissons prendre à un certain espoir de redressement, de réorientation de l’attention vers l’essentiel ; mais nous nous retrouvons, presque tous autant que nous sommes, à pêcher en eau trouble pour susciter certaines animosités et rouvrir de nouvelles agoras de bavardage et de polémiques stériles.

On nous dit que c’est cela le changement politique, cependant on oublie que toute politique est d’abord devoir de réalisation, obligation de progrès et d’amélioration des conditions de vie. Le mot de révolution en 2011 a tonné comme une lourde et grande porte qui a forcé son destin pour s’ouvrir après une durée excessivement prolongée de sa fermeture. Les gens ont alors vu les signes de certaines lumières, ils s’en sont nourris comme d’un nouveau lait maternel et s’en sont abreuvés comme d’une oasis longtemps recherchée en plein désert.

Mais voilà que dix ans plus tard, il s’avère que nous n’avons même pas fait du sur place ; au contraire, nous nous sommes déplacés à reculons. Nos chiffres économiques l’attestent, nos conditions sociales le hurlent, et nos cœurs en pleurent sans larmes. Nous ne nous reconnaissons plus, ni dans la peau qui est la nôtre, ni dans l’esprit que nous croyions avoir, ni dans l’éthique dont nous devions rêver. Nos mots sont devenus chargés négativement, nos discours pompeux et sans rendement, et notre labeur hoquetant jusqu’à l’asphyxie.

Comment s’étonner alors que les jeunes fassent « la société buissonnière » et désertent toutes ses classes, celles de la famille, celles de l’école, celles de la citoyenneté ? Ils ont vomi la politique et les politiciens. Ils ne veulent plus se conformer à des règles qui les commandent, pendant que ceux qui commandent ces règles ne se privent pas de les enfreindre. Ils ont accepté le jeu de la transition démocratique mais à chaque étape, qu’ils votent ou qu’ils s’abstiennent, ils se retrouvent piégés comme des rats, avec ce sentiment frustrant qu’ils ne représentent que le bois de feu, fait pour brûler au profit des autres et ne cueillant que le charbon qu’il devient. Ils sont désormais convaincus qu’ils brûlent juste pour réchauffer les autres et leur permettre de préparer à manger.

Lassés de la gouvernance paternaliste et autoritaire, qu’on leur présentait comme un modèle de la dictature et auquel on leur promettait un substitut démocratique, ils ont marché derrière tous les « harangueurs », des bords les plus contradictoires, toujours séduits par le rêve d’une démocratie salutaire, une démocratie solidaire. Malheureusement, à chaque fois, passé l’échéance électorale, l’histoire retrouve sa danse sur la cadence de l’éternel recommencement. A leur donner finalement conscience qu’ils ne sont pas faits pour la démocratie, que leur histoire et leur éducation ont fait d’eux des antonymes de la démocratie.

Au final, que se passerait-il si l’on continue à ce rythme ? Toute cette jeunesse en déprime va couvrir de son désespoir le sol et le ciel de la Tunisie, n’autorisant ainsi aucune perspective heureuse pour l’avenir. Pendant ce temps-là, tous nos politiques, même ceux qui parlent au nom de la jeunesse, pour la jeunesse, ne font que dépenser leurs idéologies pour le temps que durera leur jeu politique. Si l’on pouvait coller l’oreille pour écouter leur voix intérieure, peut-être entendrons-nous leur chuchotement centripète : « Après moi, le déluge ».

Moi j’ai collé l’oreille à la poitrine de nos jeunes et ce que j’ai cru entendre, je l’adopte et j’en instruis ma ligne de conduite. Voilà pourquoi je dis Nous en parlant de leur douleur, qui est mienne désormais et qui devrait être tienne aussi et celle de tous les concitoyens patriotes.

Dans cette vie de faussaires et de folie, dans cette cacophonie de faux saints, de folie, dites-nous à quel diable nous vouer ? Je le dis et l’assume, sans me départir de ma part de responsabilité. Mais voilà que c’est dit… »

 

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